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mardi 10 février 2015

Munch

Steffen Kverneland, Nouveau Monde Graphic, 2014 

Difficile l’exercice de dire une œuvre picturale, choisir de parler du peintre permet souvent de mieux l’appréhender. C’est le parti qu’a entrepris Steffen Kverneland auteur de bande dessinée norvégien, dans son dernier album, tout simplement nommé « Munch ». 
S’agit-il d’une biographie ? Oui, mais il ne faut pas s’attendre à voir la vie d’Edvard Munch défiler au fil des ans. Avant de raconter une histoire, l’album dessiné tente de saisir une personnalité. Il choisit de partir du regard de ceux qui l’ont côtoyé, ses proches, sa famille, plus largement ses contemporains, et puis plus difficile,de l’appréhender aussi à partir du propre regard de Munch sur lui-même… Pour cela, Steffen Kverneland s’appuie sur un très gros travail de documentation et fait le pari de n’avoir recours dans sa bande dessinée qu’à des paroles rapportées… des mots retrouvés… des livres compulsés et des archives consultées. La narration reste néanmoins bien présente et le fil d’Ariane est moins celui du temps que celui de l’homme qui se trouve à la croisée de toutes ces paroles. Personnage public honni par les uns, congratulé par les autres, Edvard Munch n’est pas passé inaperçu en son temps, il fait partie de ceux qui ont vécu leur célébrité. Il n’en reste pas moins un homme seul, pris au jeu de ses propres passions, de ses propres tourments.

"Mes tableaux sont mon journal intime,
je ne peins pas ce que je vois, mais ce que j’ai vu."
[Munch cité par S.Kverneland] 

Les tableaux semblent être une bonne voie d’accès pour pénétrer dans la vie du peintre. Lorsqu'on les observe, au-delà de la représentation on touche à l’homme qui tint le pinceau, on découvre une « œuvre », indissociable de l’être.

La bande dessinée apparaît ici un moyen d’expression extrêmement bien approprié, cela tient certainement aux talents narratifs et graphiques que l’auteur à mis en œuvre. Nourri par les recherches qu’il a entrepris, il livre ici un album riche et dense, où l’on retrouve aussi bien les mots de Munch et ses pairs que ses tableaux traversant le pages, donnant forme à une case et servant de matériaux au travail graphique de l’auteur norvégien qui se les approprie, autant qu’il les restitue et les resitue… Les couleurs deviennent des mots, les formes des expressions et l’on regarde tout autant qu’on lit et déchiffre.

La narration n’est pas linéaire, tout comme ne l’est pas non plus le parcours pictural de Munch marqué par la répétition et la réutilisation de ses propres matériaux et toiles. Cette bande dessinée, tant par sa forme que son discours réussit à aborder la vie d’Edvard Munch de manière éloquente. Elle la saisit déjà dans son exubérance, le trait caricatural de Steffen Kverneland se fait mordant, drôle et corrosif et puis avec une autre palette de couleurs et des traits estompés, dans sa fragilité, sans jamais pourtant dévoyer l’intime, laissant la place suffisante aux questions et incertitudes.

Steven Kverneland a senti le besoin dans certains passages de se mettre lui-même en scène, choisissant alors la forme du roman-photos volontairement comique, mettant en exergue sa propre subjectivité, peut-être pour laisser toute la place dans le reste de son album à Edvard Munch qu’il a tenté de retrouver, dans un cheminement de plusieurs années.

Et le lecteur dans tous cela ? Il se trouve bouleversé, il devient regardeur, il lit, il observe il voit et parfois découvre un bout de soi… Impressionnant, il est impressionné.

Un cadeau inattendu, merci à celui qui me le fit !